Certains d’entre nous paraissent habités d’une si impérieuse nécessité qu’il devient parfois difficile de parvenir à pénétrer au cœur de leur solitude, de les y rejoindre. Et ce qu’il conviendrait d’appeler « la haute exigence », dont ils sont porteurs, peut aller jusqu’à les fragiliser ou les anéantir : à moins que, par la grâce d’une pulsion créatrice, il leur soit donné les moyens techniques et l’énergie qui les conduisent à tenter de soulever la peau du visible pour oser planter les yeux de leur âme dans l’atroce brûlure du soleil, dans l’espoir d’une réponse. De là peut naître une poursuite obsédante, une recherche enfiévrée qui deviendra la colonne vertébrale d’une œuvre à la fois unique et pourtant vouée à la résolution d’une énigme à caractère universel.

Loin du terrorisme des avant-gardes gesticulatoires et de toutes les tendances éphémères plus ou moins nombrilistes, la peinture de Pierre Cornière ne surprend ni n’agresse, ne flatte ni n’enjolive, ne révolte ni ne milite. Entièrement mise au service de ce que le peintre nomme sa « vision », elle est au contraire la mise en forme, complexe mais discrète - chaque jour requestionnée – de sa quête forcenée de l’expression « juste », au crible impitoyable de laquelle sont contraints de se soumettre tous les éléments constitutifs de l’œuvre. Pierre Cornière fait d’un support, d’un pigment, d’un outil d’exécution ou de tout autre médium un allié et un serviteur mis en demeure de pousser leurs limites jusqu’aux confins de leurs capacités respectives.

Pour qui a eu le privilège de le voir officier ainsi au secret de son atelier, il ne fait aucun doute cependant que la haute exigence l’atteint d’abord lui-même. Loin, très loin les clichés du peintre travaillant à des moments imprévisibles pour les autres et lui-même : anéantis les poncifs de l’artiste appuyé sur sa seule fantaisie. Nous sommes là dans l’antre d’un travailleur acharné dont la discipline picturale impressionne. Ainsi se sont accumulés, année après année, enchâssés dans le cadre d’horaires rigoureusement calés, des milliers d’instants d’une pratique qui débouche aujourd’hui sur une œuvre ample et profonde, discrète et raffinée, ésotérique et généreuse, tout entière consacrée à une véritable mystique de la lumière. Mais, pas de confusion : il n’est point question ici de lumière arrogante, de couleurs incendiaires projetant leurs radiances au cœur d’éclaboussures prétentieuses et calculées ! Non, mais plutôt d’un langage pictural qui serait, avec le temps, parvenu à faire se cristalliser sur le support - bois ou toile - la lueur intérieure qui guide le cheminement secret du peintre.

Les tableaux de Pierre Cornière sont vides de toute recherche égotique et ne sont dans l’attente d’aucune flatterie. On est seulement prié, avant d’entrer, de laisser là, sur le seuil du temple, les babouches de la bienséance et du convenu, celles aussi de la culture bavarde : de ses périodes anciennes, postimpressionnistes, des époques tibétaines ou toscanes - qu’il ne dédaigne pas de revisiter de temps à autre - jusqu’aux recherches de plus en plus dépouillées de ces dernières années, l’artiste a fait une longue symphonie aux accents changeants mais reposant sur une fidélité absolue à sa cohérence première et portée par une volonté de plus en plus inflexible qui exige que tout, absolument tout, se mette au service de sa vision : vision personnelle à la fois inquiète et paisible s’il peut se dire, dans laquelle le montré ne garde plus pour mission, que de faire signe et de rassembler le regard afin que le juste poids des masses, des couleurs et des architectures oblige l’œil à basculer dans la forme en creux de l’âme dissimulée sous le tain du miroir de l’apparence.

Mais l’attention d’un peintre comme - celle de tout artiste - n’est-elle pas, précisément, que son frère humain de passage en vienne, devant son œuvre, à buter

sur les limites de son propre savoir pour se laisser happer et emporter vers son espace intérieur, ce sous-bois du cœur et de l’esprit au fond duquel murmurent parfois les voix mystérieuses d’une espérance sacrée ? La peinture de Pierre Cornière est un ticket pour ces voyages d’où ne revient que la part domestiquée de nous-mêmes, l’autre demeurant à jamais en allée et en raccordée - comme réconciliée - avec le berceau des origines.
Guy BUGEAU


  • Je peins pour avoir le sentiment d'Etre.
  • La forme n'est rien en soi ; ce n'est qu'un moyen pour exprimer la vision.
  • Aucune toile n'est justifiable : seul importe le sentiment de celui qui la regarde, lequel lui accorde toute légitimité.
  • Nourrir la vision sans cesse, pour qu'elle soit source abondante et disponible devant la toile vierge.
  • Regarder chaque toile faite d'un œil sans complaisance, la regarder cent fois jusqu'à ce qu'elle révèle ses limites, lui faire avouer la vérité, la condamner, la relaxer, ou la mettre à l'ombre quelque temps en attendant un second jugement.
  • Devant la toile vierge, faire le vide pour sentir les couleurs du moment."

Pierre Cornière : réflexions sur l'acte de peindre.



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